L’autre jour quelqu’un m’a serré la main. Ce geste d’amitié si simple, si anodin est entré dans les interdits sociaux. C’était spontané et sincère et ce n’est que quand nos paumes se sont rencontrées que, tous les deux, nous avons été surpris par un sentiment de culpabilité, pris en flagrant délit de braver l’interdiction. Trop tard pour le transformer en check poing à poing ou, avec une petite pirouette discrète, en coude à coude, légèrement mieux toléré des normes sanitaires. Quel malheur d’en être rendu là, à ne pas pouvoir se toucher, nous qui sommes des êtres de relation pour qui le contact physique est de l’ordre du vital.
Grand débat sur France Bleu l’autre jour : allons-nous reprendre le rituel de la bise mis en parenthèse par la pandémie ou allons-nous adopter à long terme d’autres formes de salutation telle la gracieuse inclination japonaise ?
Tandis qu’en France ce sont la poignée de main et la bise qui traduisent l’amitié et l’affection, en Angleterre c’est le « hug », l’accolade, qui est la manière la plus naturelle de saluer entre amis. Arrivée en France il y a 20 ans j’ai vite compris par des regards étonnés, des mouvements de recul qu’ici « ça ne se fait pas » de serrer quelqu’un dans une étreinte. L’immigré doit apprendre les subtilités des variantes régionales de la bise : 3 en Ardèche, 2 en Normandie, 4 en région parisienne etc. et par quelle joue commencer pour éviter des heurtements de nez.
Avec le déconfinement au Royaume Uni est venue l’annonce officielle et solennelle par un porte-parole du gouvernement que « Hugs are now allowed », les étreintes sont de nouveau autorisées. Un acolyte de Boris Johnson, précautionneux, s’est senti obligé de nuancer, en conseillant des étreintes « de courte durée, pas très fréquentes et avec le visage détourné ». J’ai du mal à imaginer Jean Castex à une conférence de presse, interprétation en langue des signes à l’appui, nous annoncer que nous pouvons de nouveau nous livrer à la bise, puis viendra le dilemme de combien par joue et par jour.
Quoi qu’il en soit, la sortie d’une pandémie nous interroge sur notre mode de vie. Et pour que la nouvelle vie hybride que nous improvisons ne soit pas seulement une version vaccinée de la vie d’avant, il nous faudra de nouvelles règles de vie, non pour les salutations de nos proches mais dans nos rapports à l’échelle mondiale. Jamais dans l’histoire du monde a-t-on vu si clairement comment la santé d’un pays est liée à celle de tous les autres. L’empathie, se mettre dans les chaussures de l’autre, sera un bon guide pour construire ces règles. St Paul l’exprime ainsi dans sa lettre aux Philippiens : « Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres. » Quand viendra le temps où le port du masque ne sera plus obligatoire, peut-être que le masque pandémique deviendra un symbole de l’empathie, porté pas autant pour me protéger de l’autre mais pour protéger l’autre de moi-même.
Ce n’est pas toujours facile de changer d’habitudes mais avec la répétition régulière ça viendra. Le prêtre et écrivain, Henri Nouwen disait que ce n’est pas en pensant que nous changeons notre façon de vivre, c’est en vivant que nous changeons notre façon de penser.