L’École pâtit – comme d’autres institutions – d’une forme de défiance car elle a de plus en plus de mal à tenir sa promesse d’emploi et d’ascension sociale. Si l’enseignant est chahuté aujourd’hui, c’est parfois en tant que représentant d’une institution qui ne tient pas ses promesses et dont on n’attend finalement plus grand chose.
Avant, la grandeur des missions de l’École (transmettre la culture et former le citoyen) garantissait sa crédibilité. Aujourd’hui, elle doit sans cesse préciser la façon dont elle s’acquitte de ces tâches.
D’où l’importance pour les enseignants d’asseoir leurs pratiques sur une déontologie ?
Se doter d’une déontologie – c’est-à-dire d’un ensemble de normes et recommandations auxquelles se soumet une profession pour mener à bien sa tâche – présente de nombreux avantages.
Une déontologie permet de renforcer l’identité d’une profession. Le corps professoral en a besoin car il est devenu pluriel, il repose de moins en moins sur un habitus partagé par l’ensemble d’une communauté. Or, plus un corps professionnel est pluriel, plus les règles doivent être explicitées.
Par ailleurs, une déontologie facilite l’action lorsque la situation est brouillée. Cette forme de sagesse collective permet à une éthique enseignante toujours fragile d’être plus constante car le professeur est confronté à un défi de taille : tenir, durer face aux élèves, rester fidèle à lui-même. Certes, pour conserver une forme de constance éthique, un professeur peut prendre appui sur le comportement respectable de la grande majorité de ses collègues mais il doit aussi pouvoir s’inscrire dans un cadre déontologique clair.
Enfin, l’élaboration d’une déontologie permettrait aux enseignants de réaffirmer le lien désormais distendu entre statut et compétences. Ils doivent en permanence faire leurs preuves. Fixer un certain nombre de comportements légitimement attendus, dire : « Voilà à quoi nous nous engageons », leur permettrait de renvoyer la question aux partenaires de l’École, notamment aux parents, et de leur demander : « Et vous, à quoi vous engagez-vous ? »
La question de l’éthique des enseignants n’est jamais abordée au cours de leur formation. On passe trop rapidement sur leurs droits et devoirs. On ne les invite jamais à mener une véritable réflexion sur ces questions.
Bien sûr, c’est la profession elle-même qui doit formuler cette déontologie. Elle doit être sobre, acceptable et acceptée par tous. Elle ne doit pas s’adresser à des surhommes. Il faudrait d’ailleurs en finir avec l’idée d’un professeur idéal. L’exemplarité n’est pas à chercher du côté de la perfection mais du côté de la fidélité à quelques grands principes. L’idée d’un professeur idéal empêche d’ailleurs de réfléchir sereinement à ce que pourraient être de bonnes pratiques d’enseignement.
Pour ma part, je pense qu’il existe de bonnes pratiques et des vertus qui permettent de les mettre en œuvre. La première de ces vertus est la justice ; la deuxième est la bienveillance, c’est-à-dire le souci de l’autre, de sa fragilité, de son bien-être.Elles font partie de l’équipement éthique du maître.
La troisième et dernière, c’est le tact, c’est-à-dire le souci de la relation, de la façon dont on s’adresse à l’autre. En écrivant La morale du professeur, j’ai été frappé par l’importance accordée au tact dans les métiers de la santé et par son absence dans les discours sur l’éducation. Il ne s’agit pas d’être maniéré dans son rapport aux autres mais d’avoir la manière bonne, de savoir improviser en fonction de la situation et de la personne que l’on a en face de soi, de savoir comment dire des choses et en taire d’autres.
Marie-Chantal DANIEL d’après un interview d’Erick PRAIRAT, auteur du livre : Eduquer avec tact.
Philosophe de l’éducation, Eirick Prairat a enseigné dix ans en IUFM. Professeur à l’Université de Lorraine depuis 2002, pédagogue passionné, il y a créé, il y a trois ans, le parcours « Éthique et pratiques de l’enseignement » destiné aux enseignants et personnels d’encadrement des établissements. Une porte d’entrée pour réenchanter l’École…