C’est autour de cette question qu’interviendra Thierry Magnin, prêtre, physicien et Recteur de l’Université Catholique de Lyon, lors de notre prochain colloque (les 19 et 20 octobre 2018). Il nous a accordé un entretien pour préparer ce temps fort de la vie du réseau la Présentation de Marie.
Dans une société de consommation sauvage, une compétition au profit, nous pouvons nous demander si l’éthique n’est pas de plus en plus oubliée ? L’humanité semble parfois s’enfoncer aveuglement sans mesurer les conséquences qui problématisent la condition humaine. Albert Einstein écrivait : « Il est hélas évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité »
Les dernières avancées, notamment en biotechnologies, sont en train de bouleverser le champ de la médecine en même temps que notre conception de l’être humain. Nous sommes quasiment en mesure, non seulement de réparer, mais aussi d’améliorer l’homme et ses capacités. Cela correspond à ce que nous appelons aujourd’hui le mouvement transhumaniste, né dans les années 1980 aux Etats Unis, qui entretient le rêve d’exploiter les découvertes neuroscientifiques, génétiques et robotiques pour engendrer une race d’hommes augmentés physiquement et intellectuellement. Les humains seraient aujourd’hui dans leur phase intermédiaire de développement. Le transhumain correspondrait à un état qui est situé entre l’humain et le post-humain. Le post-humain possèderait des capacités de base dépassant largement celle des humains actuels. Par exemple ce post-humain serait résistant à la maladie, aurait une jeunesse éternelle. Il serait capable de ne pas ressentir la fatigue, le stress, la haine. En fait il pourrait faire l’expérience de nouveaux états de conscience…
Cette nouvelle pseudo-religion, qui s’approprie des thèmes comme la mort, la condition humaine, doit nous inquiéter. Il n’est pas question de sombrer dans une techno phobie sectaire et obscurantiste : il faut saluer au contraire les récents progrès en génie génétique qui permettent de traiter des maladies comme le cancer. Il faut par contre nous inquiéter de cette tentation pour l’homme de se prendre pour Dieu et de devenir le « designer de sa propre évolution ».
Comme l’exprime Thierry Magnin, le transhumanisme est dangereux parce qu’il « nie l’humain en cherchant à éradiquer toute marque de contingence ». Il agite le vieux spectre de l’eugénisme qui n’interdit plus de penser à une sélection qui ne sera pas naturelle. A trop jouer avec le feu, nous risquons de perdre ce qui est notre patrimoine le plus précieux : notre humanité.
Thierry Magnin ne nous invite t-il pas, à sa façon, à répéter la sentence de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». L’âme pourrait se retrouver ruinée par un certain esprit des sciences. Si les sciences nous ont apporté la lumière, nous permettant de dépasser de fausses croyances, elles pourraient nous replonger, si nous n’y prenons garde, dans les ténèbres. Il n’est pas ici question de rejeter les sciences, mais de réfuter le scientisme. Il est important de considérer que la science ne suffit pas. Elle devient dangereuse quand elle se présente comme auto suffisante, c'est-à-dire comme l’autorité morale et intellectuelle déterminante. L’histoire le montre : la science devait apporter paix et confort. Pourtant ses progressions ne nous ont pas fait faire de progrès moral, et même nous avons parfois régressé pour devenir plus barbares.
Il n’est pas pour autant question de désespérer de l’humanité et de sombrer dans une forme de catastrophisme. Bien au contraire ! Cela doit nous encourager à croire un peu plus fort en l’Homme ; à redoubler d’amour et d’effort pour en saisir, à la fois par le cœur et la raison, sa complexité, toutes ses dimensions, le mystère de sa création.
Lionel JULIE